Exclusif : Léonnie Kandolo : « Moi, je peux vous trouver 250 femmes avec de compétences même parfois supérieures à celles des hommes qui sont au Parlement actuellement»

Femme militante, influente, courageuse et surtout intelligente, Léonnie Kandolo estime que les femmes compétentes existent bel bien en RDC. Dans une longue et exclusive interview qu’elle accordée à VOXPOPULI.CD, elle explique que la parité n’est qu’une question de volonté politique et des barrières culturelles qui doivent être cassées. Entretien.*

VOXPOPULI.CD : Faire la politique demande du courage. D’après vous Madame Léonnie Kandolo, les femmes congolaises en général sont-elles aussi courageuses ?

LEONNIE KANDOLO : Je pense que tout engagement demande du courage, que ce soit un engagement dans la société civile ou un engagement dans la politique. Le problème est qu’il y a très peu de femmes congolaises qui émergent en politique et peuvent servir d’exemple. Cela parce que le milieu politique est un espace assez fermé où souvent on ne laisse pas aux femmes beaucoup de places. On a qu’à le voir au sein des partis politiques. Alors qu’il y a beaucoup de femmes, lorsqu’il y a nomination on ne voit que très peu leurs noms. Quand les chefs des partis choisissent de personnes pour être candidats, il y a très peu de femmes que l’on met en avant.

La femme politique n’est pas encore assez représentée en RDC. Et ce n’est pas de sa faute, mais celle d’un système. La loi est avec nous, la loi sur la parité est avec les femmes pour une représentation paritaire, mais, par contre, la loi électorale n’encourage pas la parité. Par exemple, le seuil de représentativité est un handicap pour les femmes, et s’il n’y a pas de femmes sur la liste, il n’y a pas de sanction… Enfin de compte, il faut arriver à modifier la loi. Ce qui est encore plus difficile, c’est au niveau des nominations. Vous voyez bien qu’on ne nomme que peu de femmes. Je prends le dernier exemple. On vient de nommer les nouveaux procureurs, on n’a pas nommé une seule femme. Pourtant, il y a des femmes hauts magistrats, il y en a plusieurs qui ont atteint un haut degré dans la magistrature, elles sont sorties de mêmes écoles que les magistrats hommes qui viennent d’être nommés. Mais, on a fait le choix, je crois sur les huit nominations (je ne suis plus sûr du nombre), aucune femme ! C’est ça qui fait qu’il est très difficile aux femmes de devenir des modèles. Être une femme politique demande énormément du courage, mais aussi beaucoup d’éthique et une vision.

Comment les femmes peuvent-elles briser les barrières ?

Le vrai problème est culturel parce que les femmes congolaises, la majorité, même quand elles ont étudié, quand elles ont des diplômes universitaires, je ne sais pas si elles se sentent réellement les égales des hommes.  Parce que beaucoup de filles sortent des universités avec des diplômes, vous leur demandez quelle est votre ambition, elles vous disent « mon ambition c’est de me marier ». Déjà, il y a une erreur quelque part. Dans les partis politiques, souvent les femmes ne prennent pas la parole. Elles ont peur, elles sont là comme des figurantes et servent de marchepied. Et peut-être qu’elles attendent un peu trop qu’on leur donne. En politique rien ne se donne, tout s’arrache. Je crois que c’est cela le problème. Il  y a des partis politiques qui sont dirigés par de femmes, bien sûr. Est-ce que ces partis-là sont assez forts et font-ils la promotion des femmes ? Parce qu’en politique, en RDC pour être fort, il faut avoir la force financière. Souvent les femmes n’ont pas ce poids financier. Et cela joue aussi beaucoup parce que pour faire une campagne électorale ça coute très cher. C’est vous-même qui vous financez, ce n’est pas votre parti. Donc, les partis vont préférer choisir des gens qui ont déjà des moyens financiers pour avoir la meilleure chance de gagner. En général, des femmes ayant des compétences dans tous ces domaines-là préfèrent rester cantonnées dans la société civile ou dans l’entrepreneuriat, au lieu de se lancer en politique.

On reproche aux femmes congolaises de ne pas trop utiliser les médias pour se faire connaitre. Qu’en pensez-vous ?     

Ecoutez, je pense qu’on est toujours dans le même problème, c’est le problème financier. Les médias en RDC coûtent très cher. Quand vous faîtes une émission, cela vous coûte beaucoup d’argent, on ne va pas dans les médias gratuitement. Donc, souvent les femmes sont bloquées au niveau des médias parce qu’elles n’ont pas les moyens financiers. Celles qui ont des moyens financiers, vous savez, en plus d’avoir des moyens financiers il faut avoir quelque chose à dire aussi. Quelque part, c’est peut-être le message à porter parce que quand vous portez un message, vous venez d’un parti politique, ce message doit correspondre à la vision de votre parti politique. Il y a peut-être ce besoin de renforcement des capacités pour qu’on voie plus de femmes dans les médias. Mais, je pense que le premier blocage est financier.

Vous personnellement vous êtes un modèle pour les femmes qui n’ont pas du courage. Certes les médias coûtent chers, mais certaines femmes à qui on accorde le plateau gratuitement ont peur de s’exprimer. Qu’en dites-vous ?

Moi, je n’ai jamais été invitée dans une émission gratuite et refusé d’y participer, parce que cela n’a pas de sens, mais, je pense que c’est un problème de courage et aussi culturel.  les femmes congolaises ont beaucoup de blocage au niveau de leurs ménages et aussi au niveau de leurs familles, qu’elles doivent dépasser. Je crois qu’une fois qu’on décide de devenir un homme ou une femme publique, on se lance en politique ou dans la société civile, on doit savoir qu’on est un homme ou une femme publique. Pour être un homme ou une femme publique, il faut du courage, savoir comment prendre la parole et partager des opinions, sa vision. Mais, vous savez, toutes ces choses-là, ça s’apprend. Tout le monde pense que les choses sont faciles, or ce n’est pas facile. Je crois qu’il y a beaucoup d’appréhension par rapport à cela, surtout dans des émissions où vous êtes avec des gens qui sont parfois très durs et agressifs, etc… Je rappelle au début quand je faisais l’émission « Profondeur » de Kibambi Shintwa, il m’a fallu beaucoup de courage pour faire face à des professeurs d’universités, à des intellectuels. Vous devez avoir la vivacité nécessaire pour débattre avec toutes ces personnes sur les thématiques dont vous devez parler ce jour-là. Je crois que c’est une question de préparation. Les femmes doivent plus se préparer et il faut avoir un vrai engagement. Souvent, on va en politique pour devenir député comme si c’était un métier. Or, la politique n’est pas un métier, c’est une vocation. On va en politique comme on va en religion. On ne va pas dire, je vais devenir prêtre pour gagner mieux ma vie, non, là vous allez être à côté de la plaque. Moi, je pense qu’il faut surtout prendre la politique comme un sacerdoce. C’est un engagement dans lequel on ne va pas pour gagner de l’argent parce que l’objectif de la politique c’est améliorer les conditions de la société dans laquelle vous vivez. Voilà. Beaucoup s’engagent comme on dit à Kin, « na ndenge ya loyenge (Ndlr de manière vaille que vaille)», parce que c’est un métier stable. Le gens te disent, si tu es au parlement, tu seras bien pendant cinq ans, tu auras tes émolument. « Où trouverez-vous un tel travail en RDC », demandent-ils souvent.

Vous voyez, on a rabaissé le métier de la politique au Congo, et les hommes et les femmes. Et en général les gens qui ont des grandes capacités préfèrent ne pas se salir dans ces milieux-là parce que ce sont des milieux où on parle beaucoup de corruption, d’arrangements, des magouilles…. Beaucoup de gens qui sont des idéalistes n’y vont pas. Comme on disait aussi, il faut du courage parce que cela peut vous entrainer en prison, à beaucoup de choses. Il y a un ami qui m’avait dit, après une marche qu’on avait faite il y a de cela des années, par rapport à la constitution, ce qui suit : « Tu sais Léonnie, tu dois savoir une chose, ce que quand tu t’engages en politique ou dans la société civile, tu dois être prête à te faire arrêter un jour ». Et là, il faut du courage pour cela. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui sont capables. Vous savez, moi j’ai été enfermée pendant une année et 26 jours, en clandestinité, sans voir mes enfants, sans voir ma famille, sans travailler ni gagner d’argent! Combien de personnes sont prêtes à ce sacrifice ? Il faut être prêt à assumer et accepter beaucoup de privatisation. Quand vous voulez participer dans des émissions comme à la radio RFI, vous devez savoir que vos paroles vont compter, vous devez savoir que les paroles que vous dites vont avoir des conséquences sur la marche du pays, sur la vie des citoyens. Alors, est-ce que vous êtes capable d’assumer cela ? C’est cela le vrai problème.

Que pensez-vous de la parité ?

Je crois que la parité est définie par le dictionnaire. C’est un mot qui existe.

Par rapport à la RDC  

Les mots ont une définition propre dans le dictionnaire. Il n’y a pas une parité pour RDC, une parité pour France, une parité pour Chili. La parité veut dire  êteque les femmes et les hommes sont  représentés de façon égale. La RDC a inscrit dans sa constitution la parité et nous sommes un des premiers pays africains à l’avoir fait. Maintenant, nous savons que la mise en œuvre de la parité, même dans les pays occidentaux, est un processus relativement lent et difficile dans le sens que c’est à la fois un problème des mentalités et de volonté politique. Quand on veut la parité, on commence par l’appliquer dans les postes nominatifs. Si vous avez vingt ministres, vous dites que je mettrais dix ministres femmes ou je mettrais au moins huit pour commencer. Oui, comme ça nous tendons vers la parité. La parité est avant tout un problème de volonté politique. Parce qu’en RDC, vous avez certaines lois discriminatoires bien sûr qui n’encouragent pas la parité. On est en train de faire un travail avec une ONG pour identifier ces lois en R.D. Congo.  qui sont discriminatoires par rapport aux femmes. C’est la volonté politique et le blocage culturel qui empêche la parité n RDC. Mais, moi je dis qu’en RDC on est capable d’avoir 250 femmes dans un parlement qui ont les mêmes qualités que les hommes. Car cela fait plus de quarante ans qu’elles sortent des mêmes universités en RDC, en Europe, aux Etats-Unis que les hommes. Vous avez des femmes dans tous les domaines qui ont des capacités. Ce n’est pas par manque de femmes compétentes que vous n’avez pas assez de femmes dans les institutions. Non. Par exemple, dans un pays comme le Sénégal, un pays musulman, on a eu une femme Premier ministre. Ce que j’apprécie pour le moment, ce qu’en fin de compte les femmes qu’on a nommé cette fois-ci, bien que nous ne sommes pas encore dans la parité, occupent des postes importants dans le gouvernement, certaines  ont des ministères de souveraineté, comme vous avez une dame qui est ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, pour ne citer que celle-là. Mais, ce qui est important maintenant est d’arriver à augmenter le nombre des femmes, parce que ces femmes existent. Vous avez des femmes qui sont spécialistes dans beaucoup de domaines. Des femmes spécialistes dans les mines, des femmes spécialistes dans le DDR, des économistes et scientifiques. Si on voulait réellement mettre des femmes, il y aurait des femmes. Moi, je peux vous trouver 250 femmes avec des compétences même parfois supérieures à celles des hommes qui sont au Parlement actuellement. Donc, ce n’est pas cela le problème. Mais, comme je dis aussi entre guillemets, « Tant que la femme ne sera pas considérée comme un Homme avec grand H comme les autres », on sera toujours dans des problèmes. Le cerveau d’une femme et le cerveau d’un homme, sont les mêmes. Donc, si vous avez la même compétence, la même expertise, normalement vous allez faire la même chose et parfois même mieux.

Mars pointe à l’horizon, avez-vous un message à faire passer à l’intention des femmes congolaise ?    

Ecoutez, il faut continuer le combat par rapport aux droits de la femme. Peut-être nous devons réfléchir comment avoir une approche différente. Nous sommes dans ce combat sur la parité, sur les droits de la femme depuis quand même pas mal d’années, mais, est-ce que nous avons vraiment évolué ? Ne devons-nous pas réfléchir à faire le travail autrement ? A travailler sur les mentalités des plus jeunes, peut-être à travailler plus avec les jeunes filles et les  les femmes de la base, parce que généralement les problèmes de parité, de représentativité sont des problèmes qui intéressent plutôt une certaine élite. Mais, le problème est qu’il faut une élite pour le changement. Si l’élite ne va pas vers la base, vers la jeunesse, les choses ne peuvent pas changer. Je pense qu’il faut réfléchir différemment, il faut une meilleure approche intergénérationnelle parce que les femmes comme nous, comme moi ou beaucoup d’autres, d’autres générations, nous devons devenir un modèles pour beaucoup d’autres. Moi, actuellement je travaille beaucoup avec les organisations de jeunes filles, par exemple avec Afia Mama, que dirige Anny Modi qui est une jeune femme, parce que nous avons un message trans-générationnelle à faire passer, elle m’apporte son dynamisme, une nouvelle approche et je lui apporte  mon expertise, mon expérience. Je pense que le relai doit se passer et on doit arrêter d’avoir cette idée de dire nous sommes des femmes leaders. Bien sûr, il y a des femmes qui sont leaders, il y a des femmes qui sont représentatives, mais ce sont les autres qui font de vous un leader. Vous êtes leader pourquoi ? En RDC, toute femme qui a été ministre, est appelée leader, non. Vous êtes une femme compétente, experte parce que vous avez occupé des fonctions, mais il n’est pas dit que vous êtes leader et capable de drainer des masses.  Je pense que le combat de la femme en RDC doit être réfléchit différemment.

Propos recueillis par Hubert MWIPATAYI

*article rédisé avec l’appui de l’Ambassade du Canada, ONU Femmes et l’UCOFEM

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