(RCN J&D-UCOFEM). Devenu banal dans presque tous les secteurs, la corruption voilée qu’on appelle « coop » est un mal auquel nombreux recourent pour résoudre leurs problèmes de survie au quotidien. Dans le secteur judiciaire, elle est désignée par différentes expressions corruptives, mais la loi recommande aux agents publics de l’Etat de s’en abstenir.
Partie chercher, en ce mois d’août 2023, la suite d’un jugement au greffe d’une cour dans la commune de la Gombe, à Kinshasa, Madame Anny Mbombo était témoin de l’une de formes de corruption courante dans le secteur judiciaire, appelé communément « coop ». Assise au greffe dans l’attente d’une réponse à sa requête, elle a vu un avocat faire son entrée au bureau. L’homme était avec une dame portant un sac en bandoulière. Du coup, l’avocat a demandé au greffier de lui chercher un dossier dont le prononcé venait d’être fait récemment, en lui donnant un numéro de référence.
Une fois le dossier sur la table, l’avocat demande à la dame de filer 70 dollars au greffier, expliquant à ce dernier qu’il attend de lui la correction d’un document se trouvant dans le dossier. Mon client, dit l’avocat au greffier, n’en peut plus en prison où il se trouve depuis une année. Empochant de l’argent, le greffier a demandé qu’on lui ajoute 10 dollars de plus, mais son interlocuteur n’a plus rien ajouté, insistant plutôt pour que tout se fasse vite. En moins de 5 minutes l’« affaire » était conclue et les deux parties se sont données rendez-vous pour le surlendemain.
Devenu quasi institutionnelle, la corruption appelée communément « coop » dont a vécu Madame Anny Mbombo, n’épargne pas le système judiciaire congolais dans lequel elle se manifeste sous différentes appellations. Entre autres, elle est appelée « Madesu ya bana (Ndlr haricots des enfants), « Mbongo ya plainte (argent de la plainte exigé par une autorité judiciaire au plaignant) » ou « Mbongo ya dossier/papier (Ndlr argent du dossier ou des papiers, exigé par le corrompu pour ouvrir un dossier en justice ou pour acheter les papiers qui serviront à l’instruction de l’affaire ».
« Ces expressions des pratiques corruptives et bien d’autres varient selon les cas, à l’instar du canidé qui, lorsqu’il est domestique on l’appelle chien et lorsqu’il est sauvage on l’appelle lycaon », fait remarquer Sérieux Sindani, enseignant, qui s’étonne de l’ampleur que prend le fléau « coop », lequel, à l’entendre dire, n’est en réalité qu’une corruption enrobée. D’après lui, dans l’opinion chacun est libre d’utiliser la qualification qui lui convient et selon les circonstances.
Une corruption banalisée
De manière générale, la problématique du « coop » au Congo fait couler beaucoup d’encre et de salive. « Coop ekoteli biso na makila », « Tout est coop en RDC », « Coop ebebisi mboka na biso », déclarait en mars le journaliste Thierry Kambundi dans « Parlons-en », une émission qui passe sur les ondes de TOP Congo*.
Dans le Wiktionnaire, le mot « coop » a plusieurs définitions. L’une d’elles, qui se rapporte à la RDC, est défini comme : « Coopération où chacun trouve son compte, généralement à l’encontre des valeurs morales ». C’est justement au niveau des valeurs morales contraires où le bât blesse parce que la justice a pour mission de lutter contre l’impunité.
Ce que dit la loi
A l’exemple des autres agents de l’Etat, les magistrats, les juges, les greffiers et les huissiers ne sont pas autorisés à recourir aux pratiques contra legem, comme on le dit en droit. Par exemple, illustre Maitre Trésor Makola, le greffier en tant que responsable des milliers de documents conservés dans son bureau, parmi lesquels les minutes des jugements ou les arrêts, les registres, les dossiers, les pièces à conviction, est dans une situation permanente de tentation. Seulement, souligne-t-il, il ne peut demander de l’argent pour le service qu’il doit rendre gratuitement.
Maitre Abaya Koy, avocat au Barreau de Kinshasa/Matete, intervient pour expliquer que lorsqu’un justiciable donne un peu d’argent, à titre humanitaire, pour motiver un greffier, cela ne doit pas à priori être considéré comme un acte de corruption. Il affirme que, pour qu’on parle de corruption, il doit y avoir des éléments matériels et moraux. « Toutefois, il faut rester prudent car il y a de la subtilité en cette matière. Le greffier ne doit pas exiger quelque chose. Dès lors il le fait on parle de la corruption », nuance-t-il.
En effet, la loi enjoint à tous, magistrats, juges, greffiers et huissiers de se garder de tomber dans la corruption. En tant qu’agents publics de l’Etat, ils ont l’obligation d’observer le code de conduite de l’agent public de l’Etat, qui dispose en son article 16 que : « L’Agent public de l’Etat doit s’abstenir de toute pratique contraire à la morale et à l’éthique professionnelle : la corruption, la concussion, le détournement de la main d’œuvre… ». A son chapitre 9, alinéa 2, le même code martèle : « L’Agent public de l’Etat doit…s’abstenir de toute acte d’improbité et immoral susceptible de compromettre l’honneur et la dignité de ses fonctions, notamment…la corruption, la concussion ».
Un lourd tribut…
Avec des acteurs judiciaires corrompus, comme l’avait dit le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, dans son allocution qu’il avait faite le 15 juillet 2023, à l’occasion de l’ouverture de la session de formation de 2500 nouveaux magistrats, la marche de la justice ne saurait être bonne, elle ne pourrait être une justice de qualité pour tous, indépendante, performante, protectrice des droits humains, et essentiellement rassurante.
*émission pouvant être suivi sur YouTube
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