Dauphin de Joseph Kabila à présidentielle de 2018, secrétaire permanent d’un parti – le PPRD – qui a choisi de boycotter les dernières élections, Emmanuel Ramazani Shadary dénonce la dérive du pouvoir de Félix Tshisekedi.
On l’a peu entendue ces derniers mois en RDC. Affaiblie par les défections et par son refus de participer aux élections générales de décembre 2023, la famille politique de l’ancien président Joseph Kabila ne manque pourtant pas de sujets de récrimination.
Des conditions dans lesquelles se sont déroulés les derniers scrutins aux accusations de collusion avec la rébellion du M23, en passant par la perspective d’une révision de la Constitution (option mise sur la table par le chef de l’État), Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD, l’ancien parti présidentiel) dresse un bilan sévère de l’administration Tshisekedi. Interview.
Jeune Afrique : Cela fait maintenant plusieurs années que le PPRD n’est plus au pouvoir. Quel regard portez-vous sur ceux qui vous ont battu à la présidentielle de 2018, et qui vous ont fait renoncer à participer à celle de 2023 ?
Emmanuel Ramazani Shadary : Battus en 2018… C’est une manière de parler, et c’est très relatif. Tous les Congolais savent ce qui s’est passé dans notre pays après l’élection, et ce qui s’y passe actuellement.
Que voulez-vous dire ?
Ce n’est pas un sujet que l’on peut approfondir ici, mais la réalité [de la victoire de Félix Tshisekedi en 2018] est connue de tous.
Dès la fin de l’année 2020, le divorce entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi a paru inévitable. Avec le recul, comprenez-vous que le chef de l’État ait dénoncé des blocages qui étaient, selon lui, imputables au Front commun pour le Congo (FCC, la coalition à laquelle appartient le FCC) ?
Le FCC n’a jamais rien bloqué. Notre gouvernance était transparente, tout le monde le savait. S’il y a eu divorce, c’est parce que certains en ont décidé ainsi, et de manière unilatérale.
Nous étions à l’époque, et nous le sommes encore aujourd’hui, respectueux de nos engagements et des principes qui fondent notre République, et notamment de la Constitution. Ce sont eux qui, parce qu’ils n’avaient pas à cœur de sauvegarder l’état de droit, ont choisi un chemin antidémocratique et totalitaire.
Regrettez-vous d’avoir boycotté les dernières élections et ce faisant, conforté le pouvoir de Félix Tshisekedi ?
On parle d’un simulacre d’élections. Tout le monde sait ce qui s’est passé ce jour-là, comment les voix ont été attribuées à tel ou tel candidat, comment les sièges ont été distribués, comment les députés ont été nommés et non pas élus, comment telle personnalité a dépensé des millions pour devenir sénateur ou gouverneur… Nous, nous avions organisé des élections en 2006, 2011 et 2018. Comment peut-on croire que l’on peut être choisi pour diriger un pays comme le Congo avec plus de 73 % de voix ?
Cette stratégie du boycott décidée en 2023 a néanmoins contribué à isoler votre camp…
Je vous rappelle que nous n’avons pas voulu aller à ces élections truquées parce que la commission électorale était monochrome, contrôlée par une seule famille politique, et qu’il en était de même de la Cour constitutionnelle… Le FCC ne s’est pas isolé. Nous sommes avec le peuple. Ce sont eux qui se sont coupés des Congolais. Ils avaient tant promis… Aujourd’hui, les gens ont compris qu’il n’y a rien à attendre d’eux. Ils demandent même notre retour !
Le FCC envisage-t-il de reconquérir le pouvoir ?
Bien sûr. Conquérir le pouvoir de manière démocratique, n’est-ce pas là l’objectif de tout parti ou de toute plateforme politique ?
À quand un congrès du PPRD ?
Ce n’est pas d’actualité. Il faut d’abord savoir ce que nous allons faire par rapport au pouvoir.
Faut-il renouveler la direction FCC ?
Ce n’est pas non plus d’actualité. Tout ça, ce sont des discours qui divisent pour rien.
Le FCC soutient-il, ne serait-ce que de manière implicite, l’Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Naanga ? Plusieurs cadres de votre parti ont rejoint ce mouvement politico-militaire qui a fait la jonction avec la rébellion du M23…
Non, nous sommes des démocrates, convaincus que le pouvoir ne se prend qu’avec l’onction du peuple. Si certains, frustrés, ont choisi une autre voie, cela ne nous intéresse pas. Ce que nous voulons nous, c’est que l’on revoit la composition de la commission électorale et de la Cour constitutionnelle.
Dans ce contexte de guerre dans l’Est, le FCC est-il disposé à dialoguer avec Félix Tshisekedi au nom de la cohésion nationale ?
Cela ne fait pas partie de nos plans. La cohésion nationale, c’est bien, mais cela dépend avec qui. Peut-on se regarder dans les yeux et être sûr que chacun va respecter ses engagements ?
Où se trouve Joseph Kabila ?
Il est au pays.
Le secrétaire général de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) n’a-t-il pas affirmé qu’il avait quitté clandestinement la RDC ?
Posez-lui la question, vous verrez. Moi, je sais qu’il est au pays. Et non, je ne vous dirai pas précisément où ni dans quelle province. À quoi ça servirait ?
Comment voyez-vous l’avenir de Joseph Kabila ?
Il est sénateur à vie.
N’a-t-il pas d’autre ambition ?
Il faut lui poser la question.
Lors d’un récent déplacement à Bruxelles, Félix Tshisekedi a déclaré que la Constitution congolaise était « obsolète », qu’elle « a été conçue à l’issue d’un conflit et a fait la part belle à tous les belligérants » et que cela n’est pas « propice pour un pays grand comme le Congo ». Il a dit qu’il allait mettre en place une commission chargée de réfléchir aux contours d’un nouveau texte. Qu’en pensez-vous ?
C’est risible ! Est-ce vraiment lui qui a dit ça et comment est-ce possible ? Il dit que cette Constitution – qui soit dit en passant lui a permis d’arriver au pouvoir – est devenue obsolète alors qu’il n’y a pas cinq mois, en prêtant serment, il a juré de la respecter et de la faire respecter. Et comment peut-il dire que c’est une Constitution de « belligérants » ? Il connaît pourtant l’histoire de ce pays !
Cette Constitution, ce sont les Congolais qui l’ont choisie. Souvenez-vous : il y a eu une guerre. Les uns et les autres se sont réunis à Sun City, en Afrique du Sud ; une Constitution est sortie le 4 avril 2003, des institutions ont été mises en place sur le modèle « 1+4 » – un président de la République et quatre vice-présidents ; Joseph Kabila a été choisi sur cette base-là … Ça oui, c’était la Constitution de la transition de 2004 à 2006. Il n’y avait pas d’opposition ni de majorité, les décisions étaient prises de manière consensuelle… D’une certaine manière, on peut dire que cette Constitution était celle des belligérants. Mais on ne s’est pas arrêté là !
Le Sénat, à l’époque dirigé par Marini Bodo, a eu pour mission de présenter un avant-projet de Constitution. Une commission a été mise en place, qui a fait le tour du pays pour récolter les avis des uns et des autres sur la forme de l’État, le régime politique, le pouvoir judiciaire, les libertés publiques… Le texte a ensuite été soumis à l’Assemblée nationale qui l’a adopté, puis il a fait l’objet d’un référendum et enfin seulement, le président Kabila l’a promulgué le 18 février 2006. C’est une Constitution qui vient du peuple, pas des belligérants.
Mais Félix Tshisekedi n’a-t-il pas raison de dire qu’elle est datée, qu’elle ne tient pas compte des réalités actuelles ?
Obsolète par rapport à quoi ? Et quelles sont les réalités dont elle ne tient pas compte ? Il faudrait être précis. Je pense que le pouvoir essaie de détourner l’attention, le président lui-même est tout le temps en voyage : il vit pour ainsi dire à l’étranger et n’est jamais que de passage en RDC.
Le FCC refusera-t-il d’écouter les propositions que pourra formuler ladite commission ?
Si on veut réviser une disposition constitutionnelle parmi celles qui ne sont pas intangibles, pourquoi pas. Mais pour le reste, il y a une procédure à suivre. On ne fait pas ce que l’on veut.
Mais je crains fort que l’on assiste à un tripatouillage, validé in fine par des députés et des sénateurs illégitimes puisqu’ils ont été choisis par Félix Tshisekedi.
Appellerez-vous la population à se lever contre tout projet de révision ?
Inutile, elle est déjà prête à défendre la Constitution, ce socle qui unit tous les Congolais.
Stanis Bujakera Tshiamala
Jeuneafrique.com
0 comments